Home » Documentation » Récits Historiques » L’épopée de la colonne Leclerc

L’épopée de la colonne Leclerc

De Douala à Libreville

Envoyé par le général de Gaulle pour rallier l'Afrique équatoriale française à la France libre, le colonel Leclerc débarque à Douala, au Cameroun, dans la nuit du 26 août 1940. A ce moment, il n’a que très peu de renseignements sur ce qu'il va trouver même s’il sait que les Européens présents sur ces territoires, « colonies » comme on les appelait à l'époque, ont le désir profond de reprendre le combat, arrêté deux mois auparavant en métropole. Il sait aussi que sa mission est d'une dimension incroyable et qu'il n'a pratiquement aucune notion des moyens dont il va disposer pour la remplir. Le général de Gaulle est accueilli par le colonel Leclerc à Douala le 9 octobre 1940 ou il découvre un enthousiasme réel avec tout de même une ombre au tableau avec le Gabon qui a fait allégeance à Vichy.

Afin de régler le problème gabonais Leclerc obtient du général de Gaulle des unités en provenance de Dakar à savoir :

·         un bataillon de la 13e demi-brigade de Légion étrangère du commandant Koenig,

·         quelques chars Hotchkiss de la Compagnie autonome de chars du lieutenant Volvey,

·         deux avisos : le Savorgnan de Brazza et le Commandant Dominé,

·         douze avions Westland Lysander et 6 Bristol Blenheim.

472555122_charhotchkiss.jpg.17f26df0b6b5684a5f842871109ca8a7.jpg

Char Hotchkiss

1909541553_savorgnandebrazza.jpg.b6b5e921b3100fdba809292eabebfa23.jpg  1603425276_CommandantDomin.jpg.f9f55314fb410d8a3479c87b52356c34.jpg

Avisos Savorgnan de Brazza et Commandant Dominé

westland.jpg.d70f0a68c84d72c179bcac22773b60ee.jpg  blenheim.jpg.a32967920e6be4ac2a6014fab2d0be11.jpg

Westlan Lysander et Bristol Blenheim

L’action va être rapidement menée par le colonel Leclerc qui sera à Libreville le 11 novembre pour recevoir dès le lendemain la reddition du gouverneur Masson à bord du Savorgnan de Brazza. Cette action permet à toute l’Afrique Equatoriale Française (AEF) de devenir l’Afrique française libre. A ce moment le général de Gaulle dispose d’un réservoir d’hommes qui pourront être commandés par un officier dont il vient d’apprécier les qualités à savoir le colonel Leclerc. Il va alors lui confier le commandement militaire du Tchad. En effet, pour l’homme de l’appel de Londres, les objectifs prioritaires sont maintenant Koufra et le Fezzan, respectivement au sud-est et à l’ouest de la Libye. L’idée est de déployer une force française agissant du sud au nord en liaison avec les britanniques partant d’Egypte et se dirigeant vers l’ouest. Cette tenaille permettrait de réduire les armées italiennes et ainsi atteindre l’Afrique du Nord française. Côté Italiens, Koufra possède un aérodrome avec une escadrille de Ghiblis, un fort (El Tag) défendu par une garnison de 500 hommes équipés d'armes lourdes et dotée d'une compagnie motorisée, la Compania Sahariana di Cufra.

ghibli.jpg.037eedaceb71caf796e25a12ea9d2e6d.jpg

Caproni Ghibli

Premières opérations en Libye

C’est le 26 novembre 1940 que le colonel Leclerc s’envole vers Fort-Lamy pour mener à bien son premier objectif : Koufra. La première étape constituera à recenser les hommes et les matériels disponibles. Il met ainsi sur pied une colonne de véhicules, désigne les hommes qui les monteront et conçoit un programme détaillé quasiment pour chaque journée.

Parmi les officiers rencontrés lors de ces premiers jours, outre le capitaine de Guillebon et le commandant Dio, il discute longuement avec le lieutenant Colonna d'Ornano, commandant adjoint du RTST. Ce dernier l’informe des tractations qu'il a menées avec le major anglais Bagnold. Le major en question est un habitué des incursions en Libye avec les Long Range Desert Group (LRDG). Il envisage une action avec les Britanniques et propose au groupe d’Ornano une dizaine de places à bords véhicules en échange d’un peu d’essence et d’eau. Le colonel Leclerc est séduit par cette proposition et c’est ainsi que le 6 janvier 1941, 24 véhicules portant 76 hommes du Long Range Desert Group, aux ordres du major britannique Clayton, arrivent à Tanoa au nord d'Aouzou (Tibesti) et y trouvent l'essence et l'eau que le capitaine Massu, de Zouar, y avait fait mettre en place. D'Ornano embarque dans la Ford du major pios, se répartissent dans les autres véhicules, le capitaine Massu, le lieutenant Eggenspiller, les sergents Bourrat et Bloquet et cinq goumiers de la compagnie Massu. Deux patrouilles commandent l’opération, l'une néo-zélandaise, avec le lieutenant Ballantyne et l'autre écossaise, aux ordres du capitaine Greihton- Stuart.

Le 11 janvier 1941, le détachement atteint le poste italien, où l'on découvre le pylône radio et le hangar de l'aérodrome. La patrouille de Clayton traverse le terrain d'atterrissage et fonce vers le fort, pendant que l'autre patrouille prend position et bombarde le fort à coups de mortier. Avec trois Bedford portant les neuf Français, le capitaine Massu bloque l'itinéraire du fort au terrain. Le lieutenant-colonel d'Ornano est malheureusement tué d'une balle dans la gorge dès le début de l'action : c'est le premier officier français à donner sa vie sur cette terre lointaine, point de départ du chemin de la victoire. Il sera fait « Compagnon de la Libération » par le général de Gaulle dès le 31 janvier 1941. Le 19 janvier, les patrouilles du LRDG sont de retour à Zouar ; le lendemain, le colonel Bagnold y atterrit pour les féliciter. Durant cette mission, les hommes ont couvert, en 13 jours, 2 141 kilomètres dans toutes les configurations possibles du désert saharien : serir, hamadas, ramlas, fech-fech, garas, etc. Plusieurs enseignements seront tirés de cette expérience. Tout d’abord, l’intérêt de l’utilisation offensive de patrouilles de quelques véhicules légers, bien armés et dotés de moyen de navigation. Ensuite, les groupes nomades peuvent être utilement employés pour reconnaître les massifs montagneux et servir ainsi d’appoint aux détachements motorisés.

Les préparatifs

Pour revenir à l’objectif prioritaire de Koufra, le colonel Leclerc a lancé en décembre 1940 une reconnaissance par le commandant Hous sur la piste qui relie Faya-Largeau à Koufra. Ce point stratégique situé au sud-est de la Libye à 1800 kilomètres de Fort-Lamy. Le 28 décembre, Leclerc reçoit le compte rendu du commandant Hous : c'est là qu'il installe la base avancée.

cartekoufra.jpg.a5cf8c5e1a91848b05dac6c6226c4191.jpg

Carte de l'oasis de Koufra et trajet jusqu'au fort d'El Tag

Les moyens mis à disposition pour l’opération sont dispersés et peu nombreux. Le matériel automobile est constitué de camionnettes Matford, Laffly et Chevrolet vieillissantes mais, heureusement, le groupe a été doté de camions Bedford flambant neufs. L’armement s’articule autour de mitrailleuses Hotchkiss, de fusils-mitrailleurs 24-29, de fusils 7-15 et, bien sûr, de fusils Lebel. L’artillerie comprend une section de canons de 75 de montagne quant à l’aviation elle se limite aux quelques PotezBloch 120Lysander et Blenheim déjà cités.

Le groupe est composé des éléments suivants :

- une compagnie portée, des capitaines de Rennepont et Geoffroy (25 camions Bedford) ;

- le groupe nomade de l'Ennedi (GNE) du capitaine Barboteu (16 Matford) ;

- la section d'artillerie du lieutenant Ceccaldi (4 Laffly et 2 Matford) ;

- deux sections de la 7e compagnie du capitaine Florintin (8 Matford) ;

- au PC du Colonel, 2 pick-up Chevrolet, une voiture Austin, 2 Bedford (dont un avec la TSF) ;

Le tout représente 400 hommes (150 Européens et 250 Africains) soit 250 combattants et 150 conducteurs et aides, montés sur une soixantaine de véhicules.

Enfin, un groupe de reconnaissance est constitué, sous le commandement du major Clayton, qui  comprend 24 Chevrolet et Ford dont l’un des camions a été équipé d’un mortier de 81 mm.

bedford.jpg.7bfcd200609599738337d4c51fc08316.jpg

Bedford MWD 15

Le 31 décembre, les aviateurs prennent des photos aériennes du fort El Tag. Ce même jour, on apprend que la patrouille Clayton a perdu 4 voitures et 8 hommes au Djebel Cherif, à 100 kilomètres au sud de Koufra, lors d'un engagement avec la Compania Sahariana, appuyée par les Ghiblis. Le major, blessé, a été fait prisonnier et il avait sur lui les plans de l'opération : l'effet de surprise ne peut plus jouer. Il faut faire vite !

Déroulé des opérations

26 janvier 1941 : la colonne est rassemblée et s'engage vers le nord.

2-4 février 1941 : un groupe de Blenheim a bombardé le fort d'El Tag, sans obtenir de résultats flagrants.

7 février 1941 : le colonel Leclerc prend le commandement d'une reconnaissance légère, avec une vingtaine de voitures, qui atteint la palmeraie de Koufra. Des renseignements sont obtenus auprès des indigènes du village, le radio du poste radiogonométrique est fait prisonnier. Quelques dégâts sont opérés sur le terrain d'aviation.

16 février 1941 : le colonel Leclerc part en tête avec la compagnie portée alors que le commandant Dio suivra avec l'infanterie et son canon.

18-19 février 1941 : après être passé à l'est de la palmeraie, la compagnie portée tombe sur la Compania Sahariana dans une dépression au nord de Koufra. Pendant 48 heures, les véhicules s'affrontent, les avions italiens interviennent à plusieurs reprises ; mais, au soir du 19, la Compania Sahariana est mise en fuite vers le nord-ouest et on ne la reverra plus - on a même réussi à lui prendre son « fanion » ! Leclerc installe maintenant ses troupes pour faire le siège du fort d'El Tag.

Il est à noter que durant cette première partie de l’offensive l'unique « 75 », aux ordres du lieutenant Ceccaldi et de son chef de pièce, le maréchal des logis-chef Albert Grand, tire 20 à 30 coups par jour et se déplace très souvent pour faire illusion. Aucun répit n'est laissé à l'adversaire, l'intoxication se poursuit jour après jour.

28 février 1941 : le capitaine italien Colonna tente des négociations par l'intermédiaire d'un plénipotentiaire.

1er mars 1941 : le lieutenant Miliani revient parlementer mais le colonel Leclerc, sentant alors qu'il a l'affaire en main, embarque l'Italien dans sa voiture, monte vers le fort et se présente devant la porte. Elle s'ouvre, il rencontre le capitaine Colonna ; dans le bureau du commandant du fort, il fait signer à ce dernier les conditions de la reddition : El Tag est investi.

2 mars 1941 : les couleurs françaises flottent dans la cour du fort.

Le serment de Koufra

Lors de la levée des couleurs en présence de ses hommes, le colonel Leclerc termine son court discours par cette phrase : « Jurez de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs flotteront sur la cathédrale de Strasbourg ». C'est le serment de Koufra.

En évoquant Strasbourg, à des milliers de kilomètres de ce coin perdu du Sahara libyen, Strasbourg, la ville martyre sous la botte nazie, située à l'extrême est de la France, sur les bords du Rhin, Leclerc fait entrevoir à ses hommes les merveilleuses joies de la libération du territoire national.

Le général de Gaulle a bien pris la mesure de cette victoire ; le lendemain, il envoie au colonel Leclerc le message suivant : Vous avez ramené la victoire dans les plis du drapeau, je vous embrasse et, le 6 mars, il le fait Compagnon de la Libération.

Epilogue

Le général Leclerc a fait hisser le drapeau tricolore au fronton de la cathédrale de Strasbourg le 23 novembre 1944. A cette occasion il écrivit, le lendemain, une lettre à sa femme sur du papier, pris dans le QG allemand, racontant comment il tint sa promesse.

lettre.jpg.ee72f85b2b7f65b6b71168b1c63c0cf6.jpg

4 1 vote
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires