"Kentoc'h Mervel" (plutôt mourir)
Minuscule caillou perdu dans la mer d’Iroise, l’île de Sein est un haut-lieu de la France libre.
Située en Bretagne, au large de la Pointe du Raz en Bretagne, la petite Ile (56 hectares) comprend 1 400 habitants en septembre 1939.
A cette date, une grande partie des hommes sont mobilisés alors qu'une petite garnison d'une vingtaine d'hommes y prend place.
En juin 1940, il n'y a pas l'électricité sur l'Ile, mais de rares postes de TSF à accus et à galènes permettent aux Sénans de se tenir informés.
C'est ainsi que sont connues la prise de Rennes et l'évacuation de Brest.
Le matin du 19 juin 1940, le lendemain de l’appel du Général de Gaulle, l’Ar Zénith, un dundee à voiles et à moteur de 21 m de long qui assure deux fois par semaine, le transport de passagers, de marchandises et du courrier, entre le continent et l’Ile de Sein, accoste à Audierne d’où il doit repartir vers midi.
Un groupe de jeunes originaires d’Audierne se présente à son bord ; ces derniers veulent rallier l’Angleterre et l’Ile de Sein constitue une première étape vers la Grande-Bretagne.
Le patron, Jean-Marie Menou, accepte ces hommes à son bord.
Au moment où le navire s’apprête à appareiller pour Sein, un camion militaire, transportant des armes et des munitions arrive, convoyé par un détachement de Chasseurs Alpins aux ordres du Lieutenant Emmanuel Dupont.
Les militaires et leur matériel embarquent sur l’Ar Zénith qui arrive à Sein vers 16 heures.
Ordre est donné de débarquer tous les civils se trouvant à bord et d’aller à Ouessant afin d’embarquer d’autres militaires.
Vers 19H00, il repart avec exclusivement les militaires, accompagné de la Velléda, ravitailleur des phares, qui a pris en charge les civils et les iliens.
Le 20 juin, le Lieutenant Dupont prend l’initiative puis avec l’accord du patron Jean-Marie Menou et des trois hommes d’équipage, ils décident de quitter Ouessant pour mettre le cap sur Plymouth.
L’Ar Zénith est ainsi le premier navire civil français à arriver en Angleterre et les quatre membres de son équipage sont les premiers habitants de l'Ile de Sein à rejoindre de Gaulle.
Le navire sera réquisitionné par la Royal Navy et servira notamment au transport de munitions le long de la côte sud de l’Angleterre.
Entièrement restauré et classé Monument Historique, il est exposé à l'ancien arsenal de Saint-Servan à Saint-Malo.
De retour le lendemain, la Velléda informe les Sénans de la situation.
Le 22 juin, ils sont prévenus par le gardien du phare d’Ar-Men qu'un général français doit parler à la radio de Londres. Son nom ? Charles de Gaulle.
Un rassemblement a lieu autour du poste TSF pour écouter le communiqué comme tous les jours.
Le lendemain, les Sénans apprennent la signature de l'armistice la veille. Aussitôt, quelques jeunes gens se rendent chez le recteur Louis Guillerm et annoncent qu'ils veulent rejoindre ce général inconnu à Londres.
Le 24 juin, le maire fait afficher un avis, reçu d'Audierne par téléphone, lequel ordonne aux militaires de se rendre aux autorités allemandes d'Audierne.
Le prêtre tempère les élans de ses jeunes ouailles, mais réagissant à cette menace d'être faits prisonniers, il se concerte le soir avec le maire Louis Guilcher et, ensemble, ils décident d'organiser un premier départ le lundi 24 à bord du Velléda (photo suivante) et du Rouanez ar Mor (Reine de la mer en français).
Les familles se rassemblent sur le quai en début de soirée.
A 21 heures, les deux navires sont pleins, chargés d'hommes en âge de combattre. Agenouillés sur le pont du Velléda et du Rouanez ar Mor, les volontaires reçoivent la bénédiction du recteur. Les bateaux prennent le large avec la marée à 22H00.
Le 24 juin 1940 marque le début de l'épopée des hommes de l'île de Sein, partis en masse rejoindre Londres quelques jours après l'appel du 18 juin.
Parmi ces braves dont la moitié n’a pas 17 ans, Joseph Guilcher, lui, les a eus deux mois plus tôt. Son père, ancien de 14-18, lui a dit : « Il vaut mieux que tu partes, plutôt que de rester avec les Boches ».
Il fera partie des 177 français qui débarqueront en Normandie le 6 juin 1944 au sein du Commando Kieffer.
Un autre Sénan rejoindra le commando Kieffer, à partir de septembre 1944, après avoir fait partie du 1er bataillon de fusiliers marins.
Il s’agit de Henri Bourles qui, participera aux opérations en Hollande et en Allemagne à l’issue de sa formation.
Le 25 juin, un bateau de l'île se rend sur le continent où une affiche annonce que tous les hommes de 18 à 60 ans doivent se tenir à la disposition des troupes d'occupation.
Nouvelle menace et nouvelle réaction : le lendemain, deux nouveaux bateaux, le Rouanez-ar-Péoc'h de François Fouquet et le Maris Stella de Martin Guilcher partent à leur tour.
Le Corbeau des mers de Pierre Couillandre avec ses passagers les suit de peu.
Le Corbeau des mers fait aussi l'objet d'un classement au titre des monuments historiques depuis le 10 mars 1991. Restauré, il est désormais la propriété du musée de la Résistance bretonne de Saint-Marcel dans le Morbihan.
Comme la veille, le maire et le curé encadrent ces départs et les plus jeunes (quinze ans ou moins) n'ont pas le droit de partir.
Ainsi, du 24 au 26 juin, 114 îliens, que la mobilisation avait écartés à cause de leur âge ou de leurs charges de famille, partent de Sein ; le plus âgé a alors 54 ans et le plus jeune 14.
Plus tard, d'autres rejoindront les Forces Françaises Libres par divers moyens et au total, 128 Sénans quitteront l'Ile pour la Grande-Bretagne !
C’est le début d’un gigantesque saut dans l’inconnu. La traversée s’effectue sans difficultés notoires : il est vrai que ces marins sont rompus aux rudesses de la mer.
Début juillet, ceux qui ont rejoint l'Angleterre sont regroupés, avec trois cents autres volontaires, à l'Olympia Hall à Londres, pour être présentés au général de Gaulle, chef de la récente et alors groupusculaire France libre.
Serrant la main à chacun, qu'il interroge sur son origine, le chef des Français libres, extrêmement surpris du nombre de Sénans présents dans l'assistance, aurait alors dit :
« L'Ile de Sein, c'est donc le quart de la France ! ».
Les Sénans reçoivent ensuite diverses affectations, en fonction de leur âge et de leurs spécialités,
Les plus âgés sont affectés au Service des pêches de Penzance ou dans la marine marchande de la France libre et participent au ravitaillement de l'Angleterre.
La plupart étant admis dans les Forces navales françaises libres (FNFL) sert dans un premier temps sur le Courbet, vieux cuirassé français de 1911, construit à Lorient qui, ayant participé à la Grande Guerre, se replie en juin 1940 à Portsmouth où il est finalement réquisitionné par les Britanniques pour servir à la défense antiaérienne de la ville.
Désarmé le 31 mars 1941, il sert de navire cible en Écosse, où il participe aux essais « Highball », la fameuse bombe rebondissante dont le modèle le plus connu est celui employé durant l'opération « Chastise », un raid mené par les Dambusters (« briseurs de barrages ») qui s'attaquèrent aux retenues artificielles de la vallée de la Ruhr.
Il navigue à travers la Manche pour la dernière fois en juin 1944, remorqué par les HMRT Growler et HMRT Samsonia, afin de servir de brise-lames et d’appui D.C.A.
Il est sabordé le 9 juin à 13 h 30 devant Sword Beach, l'une des cinq plages du débarquement allié en Normandie le 6 juin 1944 lors de la Seconde Guerre mondiale. Cette plage est attribuée à la Seconde armée britannique. C'est aussi la seule où débarquent des commandos français !
Digression historique :
Le nom « Courbet » a depuis été donné à une frégate de la marine française, celle-là même qui, alors qu’elle participe en Méditerranée à la mission de l'OTAN « Sea Guardian » afin d'empêcher la livraison clandestine d'armes sur les côtes libyennes, est directement menacée le 10 juin 2020 par la frégate turque « Gokava » usant d’illumination à trois reprises de son radar de tir, ce qui correspond au dernier coup de semonce avant de faire feu.
Les 128 français libres de l’île de Sein connaissent pour autant des destins contrastés.
Si beaucoup combattent au sein des Forces navales françaises libres, d’autres sont incorporés chez les fusiliers marins et, à ce titre, combattent en Afrique avant de participer à la Campagne d’Italie puis à la reconquête de la France, du débarquement de Provence jusqu’à la Libération de Strasbourg.
Les Allemands arrivent sur l'Ile de sein dès le début de juillet 1940 avant d'y affecter une petite garnison d'infanterie et la douane maritime (GAST) qui exerce son contrôle sur les bateaux de pêche. Ils y installent également des mines et des barbelés.
Petit aparté linguistique :
La Grenzaufsichtsstelle (GAST) est la douane militaire maritime allemande, mais GAST est aussi un mot breton, un juron dont le sens premier est « putain ! ».
L’expression est souvent un moyen de finir ou de commencer une phrase dans le but de renforcer le propos (comme le « con » toulousain), peut être innocente comme dans « gast an amzer » (putain de temps, quel temps de chien !) ou carrément moins gentillet en fonction de l’interlocuteur.
Une sévère réglementation est appliquée concernant la circulation tant sur mer que dans l'Ile où ceux qui obtiennent un laissez-passer et l'autorisation temporaire de la quitter laissent leur famille comme garant de leur retour.
Le 1er mai 1943, fidèles aux traditions de sauveteurs des Sénans, les marins du sloop Pax Vobis, assistant à un combat aérien au-dessus d'Ouessant, viennent en aide à trois aviateurs d'un bombardier américain tombé en mer, les recueillent et les ramènent sur l'Île de Sein.
Les Sénans, majoritairement des femmes, des enfants et des vieillards, sont soumis à des conditions matérielles très difficiles en raison du départ des hommes et donc de la disparition des revenus et produits de la pêche. L'Île a alors comme unique revenu le produit de la vente de sel.
Pendant toute la durée de l'occupation, la malnutrition touche la population.
Finalement, la libération a lieu le 4 août 1944 avec le départ de la garnison allemande qui, avant son évacuation, détruit à l'explosif le phare de l'Ile.
Après la guerre, l'île de Sein reçoit la Croix de la Libération, la Croix de guerre et la Médaille de la Résistance.
« Devant l'invasion ennemie, s'est refusée à abandonner le champ de bataille qui était le sien : la mer. A envoyé tous ses enfants au combat sous le pavillon de la France Libre devenant ainsi l'exemple et le symbole de la Bretagne tout entière. » (Ile de Sein, Compagnon de la Libération par décret du 1er janvier 1946)
Le 30 août 1946, le général de Gaulle se rend sur l'Île pour remettre personnellement la croix de la Libération à l'occasion d'une cérémonie simple et émouvante.
Il ne fait pas de discours, mais il s'adresse spontanément aux Sénans à deux reprises :
« Il y aura toujours, maintenant, en France des gens qui penseront à l'île de Sein. La France entière saura qu'il y avait sur l'océan une bonne et courageuse île bretonne dont l'exemple magnifique deviendra légendaire et les enfants apprendront dans leurs livres d'histoire l'action héroïque d'une bonne et courageuse île française »
Puis, à la foule, après remise de la croix,
« La France, vous l'avez sauvée. Il ne faut pas qu'on l'oublie. La France se relève tout doucement. Elle est immortelle, elle nous enterrera tous. »
L'île de Sein est au titre de la Seconde Guerre mondiale la commune française la plus décorée. C’est aussi la seule commune de France à avoir plus de morts militaires durant la Seconde Guerre mondiale (27 morts) que durant la première (21 morts).
Président de la République, de Gaulle y retourne une seconde fois, le 7 septembre 1960, pour inaugurer le monument aux Forces françaises libres.
Sur celui-ci, on peut lire la devise en breton :
"Kentoc'h Mervel" (plutôt mourir)
Et la citation :
"Le soldat qui ne se reconnaît pas vaincu a toujours raison."
Pour compléter en images d’actualités le propos, il existe beaucoup de liens sur la toile. Dans un premier temps, je vous invite à ouvrir les deux suivants :
L'île de Sein | ECPAD
https://www.youtube.com/watch?v=OL1v3iXhAlo&ab_channel=ecpad
Le général de Gaulle rend hommage aux marins de l’île de Sein
Sources (contenu et illustrations) :
Wikipédia, www.ordredelaliberation.fr/fr/ile-de-sein, ecole.nav.traditions.free.fr/177_guilcher.htm, http://bcd.bzh/becedia/fr/quand-l-ile-de-sein-etait-le-quart-de-la-france, www.france-libre.net/le-courbet-veteran-des-f-n-f-l/, Archives personnelles.